top of page
  • Instagram
  • Pinterest
  • Facebook
Rechercher

Comment faire venir la pluie...

Dernière mise à jour : 2 févr. 2022


Dans les traditions du Moyen-Orient se rencontre un personnage insupportable et délicieux, qui s’appelle généralement Nasreddin Hodja. Ses histoires — innombrables— sont racontées partout, de la Turquie à la Perse, de la Syrie à l’Égypte, où il est appelé Goha. Ces mêmes histoires se retrouvent dans la tradition populaire juive, où le personnage s’appelle Ch’hâ, et en Afrique du Nord, où il est plus connu sous le nom de Djeha. On suit sa trace jusqu’en Pologne, où son nom est Srulek.

Cet homme offre un étonnant mélange de naïveté, voire de bêtise, et de roublardise extrême. Grand donneur de conseils qu’il se garde bien de suivre, il s’avance porteur de tous les défauts des hommes : il est avare, menteur, envieux, jaloux, lâche et rigoureusement égoïste. La vie lui apparaissant absurde, il adapte son comportement à cette absurdité. C’est ce prince de la logique populaire que Gurdjieff, dans les Récits de Belzébuth à son petit-fils, plaçait au sommet de la sagesse humaine.

Pour introduire ce personnage essentiel que nous retrouverons souvent sous des noms différents, le voici sous sa forme la plus célèbre de Nasreddin Hodja.

On raconte en Perse qu’un jour, par un temps de sécheresse tenace, une délégation vint le trouver pour lui demander s’il connaissait un moyen de faire venir la pluie.

— Bien sûr, dit-il, j’en connais un.

— Vite. Dis-nous ce qu’il faut faire.



Nasreddin demanda qu’on lui apportât une bassine pleine d’eau, ce qui fut fait, non sans grande peine. Quand il eut la bassine, il ôta sa robe, et, à l’étonnement de tous, se mit tranquillement à la laver.

— Comment ! s’écria-t-on. Nous avons rassemblé toute l’eau qui nous restait et toi tu t’en sers pour laver ta robe !

— Ne vous inquiétez pas, répondit Nasreddin, je sais très bien ce que je fais.

Il prit tout le temps nécessaire, malgré les insultes et les menaces. Il lava sa robe avec minutie puis il dit :

— Il me faut maintenant une seconde bassine d’eau.

Les membres de la délégation crièrent encore plus fort. Où trouver cette seconde bassine ? Et pour quoi faire ? Avait-il donc perdu l’esprit ?

Nasreddin resta très calme et obstiné.

— Je sais très bien ce que je fais, disait-il.

On chercha partout, on pressa l’argile des puits, on vola jusqu’à l’eau des enfants, on apporta enfin la seconde bassine.

Nasreddin y trempa sa robe et la rinça soigneusement.

Les autres regardaient, stupides. Ils n’avaient même plus la force de hurler.

Il leur demanda enfin de l’aider à tordre sa robe, pour bien l’égoutter. Après quoi il l’apporta dans sa petite cour et l’accrocha à un fil pour la mettre à sécher.

Presque aussitôt de gros nuages se formèrent, s’approchèrent et la pluie tomba largement.

— Voilà, dit posément Nasreddin. C’est chaque fois pareil dès que j’étends mon linge.


Bibliographie: Le Cercle des Menteurs, Jean-Claude Carrière





 
 
 

Comments


bottom of page